Une fragile passerelle.

Publié le par josephine

J'étais partie au bout du monde. Enfin, pas tout à fait, juste dans un petit village au pied du Vercors, un village endormi, volets refermés sur les images ensoleillées de l’été.

Ici, l’hiver, tout semble en repos. Certains sont restés pourtant, ils vivent là à demeure.

Un autre monde, loin de la ville et des cités.

Dans le café déserté, où la bière semblait si fraîche en été, tandis que l’on rêvait  à l’abri des parasols, la tenancière semblait heureuse :

« - J’ai connu la banlieue. Mon père était gardien de prison à Fresnes. J’ai longtemps cherché un endroit où me poser. Ici, je suis bien, tout simplement. C’est le lieu qui me convient et je n’en changerais pour rien au monde. ».


Un autre monde. Chacun de nous porte en lui tout un univers à sa mesure. A la fois unique et métissé.

Et moi, privilégiée, je n’appartiens pas vraiment à celui de la cité.

Je peux aller, venir. Et revenir. Ou partir. Cela s’appelle  le choix. Ne pas être assigné à résidence.

Quel luxe !


Psychologue dans une banlieue fragile. C’est un travail d’équilibriste dont l’exercice  est parfois périlleux. L’architecte de l’invisible qui construit de précaires passerelles. Du monde où je suis, aller vers ton monde étranger.


Madame M. , la semaine dernière.

« - Mon fils ? Il est dur, très dur. Mais pas question de céder. La dernière fois, pour les devoirs, on est restés jusqu’à dix heures du soir. Et il le sait, si ça ne marche pas, avec moi, ça tombe vite.

- Cela tombe vite ? »

Elle se reprend un instant, n’ose pas me parler des coups : « - Je n’en peux plus, je le frappe tous les jours » avait elle fini par déclarer à la maîtresse.

En fait, Madame M. est intelligente et sincère. Véritablement soucieuse de son enfant. De plus, elle fait confiance aux interlocuteurs de l’école. Peu à peu, au fil de l'entretien, c’est sa propre enfance qui vient au jour, une petite fille mal aimée, effrayée par un père alcoolique et une mère maltraitante. Ses aînés ont été placés. Précisément, l’un d’eux, devenu éducateur pour enfants, joue un rôle de tuteur.

« - C’est vrai, lui aussi me le dit. D’arrêter les coups. Il a raison. Si je continue comme ça, Wilfried va mal tourner. »


Ici, l’enfant délinquant n’est pas seulement  fantasme. Lors de la toute première rencontre, cet élève de 7 ans était déjà fermé, révolté, plein d’une colère intérieure. Il fallait l’aider, sans attendre. Il l’avait compris, s’était détendu. Je le trouvais toujours sur mon chemin quand je traversais la cour, avec sa frimousse sensible.

Une heure d’entretien, c’est peu. Mais suffisant, parfois, pour cheminer ensemble. Il y avait ici, quatre adultes et un enfant, prêts à s’engager : Madame M., démunie mais accessible, l’enseignante, capable de s’adapter à un élève différent, Jade, la rééducatrice, prête à une prise en charge. La psychologue, bien sûr, sorte de médiatrice.

Et Wilfried, intelligent, demandeur.

 

Pour le reste, demain aussi il ferait jour.

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