Est ce ainsi que les hommes vivent

Publié le par josephine

Petit jour pâle. Pluie. Une humidité glacée.

A neuf heures, le téléphone sonne. Corinne, la directrice d’école maternelle est au bout du fil.

«  - Josephine, je suis avec une maman. Ce qu’elle vient de raconter…

Tu souhaiterais que je vienne ?

- S’il te plait. Je suis bouleversée. »

Arthur, dix ans, accepte l’interruption avec beaucoup de gentillesse. Il vient de loin Arthur. Et sa mère de plus loin encore . Drogue, rue, petite délinquance. A présent trois enfants dont elle est fière, des oisillons fragiles qui s’arrangent avec la vie comme ils peuvent.


Madame M. est enveloppée dans un manteau bon marché, cheveux bruns emmêlés, jambes nues, aux pieds des sandales.

«  - Je vous en prie, mettez vous à l’aise. « 

Mais sous le manteau noir, une pauvre robe en tissu bleu, épaules découvertes.  

Elle baisse la tête, honteuse.

- C’est tout ce que j’ai. »

Et débute un récit âpre, d’une intense crudité, tandis que son regard fixe au loin cet autre monde dont elle est issue et qu’elle décrit sans concession.


Est-ce ainsi que les  hommes vivent ?

Nous nous sommes retrouvées toutes trois dans le bureau de Corinne. Ensemble, on a plus chaud.

Et je n’ai pas envie de poursuivre. Plus tard peut être.


Le soir, chez moi, je restée longtemps assise, à regarder la nuit. Une longue fatigue  sur les épaules. La sortie de la veille sans doute. Un joli restaurant où j’avais invité Shéhérazade. Le raffinement de la cuisine thaïe, saveurs et couleurs en un savant mélange, parfums d’ailleurs, envie d’autre part….

Pour accompagner, une demi bouteille de Cheverny au fruité discret.

« - Josephine, tu rayonnes, il y a chez toi cette même lumière que l’on retrouve sur le visage de ta maman"

Et Shéhérazade ajoute, d’un accent chantant.

- Vois tu, Joséphine, on est amants de la vie. Ou alors on n’est pas. »

 Avec Shéhérazade, c’est toujours l’envol, celui de l’oiseau Cyborg ou du tapis magique. Des récits pour mille et une nuits.

Mille et une nuits de cruauté.

Celle des hommes. La seule survivance en serait la porte, très étroite, de la sagesse.

De la sagesse, Shéhérazade est prodigue, héritée peut être d’un arrière grand père soufi, vénéré à l’égal d’un saint par les pèlerins  qui se rassemblent aujourd'hui encore autour de son tombeau.

Elle avait débarqué à Roissy avec son sac de voyage pour tout viatique, laissant là bas son poste à l’université et un appartement confortable encombré de livres.

Grâce à un réseau d'amitiés, elle avait obtenu un titre de séjour. Au fil des jours, dans sa chambre de bonne, elle apprenait l’assassinat de ses meilleurs amis, ceux qui n’avaient pas vu venir l’horreur et qui avaient ri  de ses inquiétudes. Certains meurtres longs, raffinés.

 

Etranges étrangers qui viennent nous visiter et dont nous accueillons les enfants dans nos écoles. De quels récits nocturnes êtes vous issus ?


Le père de Shéhérazade, résistant, avait été autrefois arrêté et torturé par les Français. Jamais il n’en parlait. Quant à son grand père, soldat de la libération, il est rentré chez lui, le premier mai 1945. A Sétif. Une semaine après, il marchait avec les siens au premier rang de la manifestation demandant à la France de tenir ses promesses.  Il a été abattu dans la fusillade par des soldats français qui auraient pu être ses camarades de combat.

Mille et un étrangers aux récits impossibles. Quand l’homme aura t-il pitié de l’homme ?

A quand la miséricorde ?

La joie, comme une nécessité .

«  - Ma joie. » disait Boris dès qu’il reconnaissait ma voix au téléphone.


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